Enquête – Dyslexie, TDAH, autisme… Les dérives de la psychanalyse chez les enfants – L’Express

ENQUÊTE L’EXPRESS • 15 JUIN 2023 Par Stéphanie Benz et Victor Garcia Dyslexie, TDAH, autisme… Les dérives de la psychanalyse chez les enfants

La psychanalyse chez les enfants atteints de troubles de neurodéveloppement pourrait avoir des effets néfastes, selon plusieurs scientifiques.

Caroline Goldman ne s’en cache pas : elle est en croisade pour défendre la psychanalyse. A longueur de podcasts et d’interviews, la psy pour enfants et fille aînée du chanteur préféré des Français explique à quel point cette discipline la porte. Si elle en dénonce quelques dérives, c’est pour mieux pointer le poids excessif, selon elle, de la psychologie scientifique et des neurosciences dans la prise en charge des enfants. Mais la psychanalyse a-t-elle vraiment besoin qu’on la défende ? Et doit-elle seulement être défendue ?

En 2021, une méta analyse a montré que cette approche pourrait avoir quelques effets positifs sur les troubles anxieux ou dépressifs chez les enfants et les adolescents. « On est toutefois encore loin de la solidité des preuves obtenues par les thérapies comportementales et cognitives », constate Thomas Villemonteix, maître de conférences en psychologie à l’université Paris-VIII. Selon cet expert, ce travail portait surtout des prises en charge psychodynamiques brèves et structurées, courantes dans les pays anglo-saxons mais assez éloignées des pratiques françaises. « La psychanalyse est une théorie, une quête d’adulte quasi spirituelle, et je comprends que son aspect théorique puisse séduire, mais lorsque l’on confronte cette théorie à la pratique clinique, surtout chez les enfants qui ont des difficultés, il est démontré qu’elle n’est pas efficace, tranche Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Elle ne propose aucun diagnostic, aucune solution, à part de la pâte à modeler et des dessins ».

Certains psychanalystes, dont Caroline Goldman, suggèrent même que le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) serait une invention de l’industrie pharmaceutique, pour vendre des médicaments comme le méthylphénidate (une molécule plus connue sous le nom de Ritaline). « Il s’agit d’un discours dangereux, à l’extérieur du champ scientifique », alerte Thomas Villemonteix.

Un rapport sous influence

Globalement en perte de vitesse à l’étranger, la psychanalyse reste pourtant encore très présente dans notre pays. « Son influence recule, mais de nombreux psychiatres et pédopsychiatres de formation psychanalytique continuent d’exercer et le débat actuel autour de l’éducation montre bien qu’elle n’a pas disparu », souligne Héloïse Junier, psychologue et formatrice petite enfance. Pour ceux qui en douteraient, le dernier rapport du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) fourni une preuve éclatante de cette influence. Les auteurs du document dénoncent la hausse de la prescription de méthylphénidate contre le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), qu’ils ne jugent « pas si efficace ». Deux affirmations critiquables, puisque ce produit reste proportionnellement moins utilisé en France que dans d’autres pays, et que différentes études à grande échelle ont montré son bénéfice sur les troubles de l’humeur ou les tendances suicidaires des patients. Le rapport citait aussi les psychothérapies, mettant sur le même plan les approches systémiques, cognitivo-comportementales (TCC) et psychodynamiques. Ces dernières, d’inspiration psychanalytique, n’ont en réalité jamais démontré leur efficacité dans les troubles neurodéveloppementaux. De nombreux professionnels de la petite enfance s’étaient émus de cette publication, certains y voyant l’influence de Sylviane Giampino, la présidente du HCFEA, elle-même psychanalyste. Interrogée sur ce point par L’Express, cette dernière avait refusé de commenter.

Sur le terrain, les associations de parents dont les enfants souffrent de troubles autistiques, DYS ou de TDAH continuent de dénoncer l’accompagnement proposé dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ou les centres médico-psychologiques (CMP). « Nous avons encore beaucoup trop de témoignages de familles qui ne parviennent pas à obtenir un diagnostic, à qui on impose une psychothérapie familiale, ou dont les enfants sont vus pendant des années, sans soins adaptés », déplore Nathalie Groh, présidente de la Fédération Française des DYS. En banlieue parisienne, Jana, mère de deux garçons souffrant de TDAH a été confrontée à ces difficultés : « Le CMPP nous a fait perdre beaucoup de temps. J’ai dû me tourner vers un médecin en libéral pour avoir un diagnostic. Depuis, mes enfants prennent du méthylphénidate, et ils vont mieux. Ils se sont intégrés à l’école et ont de bons résultats », raconte-t-elle.

La culpabilisation des mères

Même constat dans les centres de protection maternelle et infantile : « Prendre en charge les troubles du comportement des enfants, c’est leur cœur de métier. Mais sont-ils suffisamment formés aux programmes d’éducation aux habilités parentales et aux TCC ? Cela commence à s’ouvrir, mais il reste encore de nombreux psychanalystes dans ces structures », constate Frédérick Russet, docteur en psychologie au CHU de Montpellier. Pour les parents, l’absence de diagnostic est un problème clef, car il peut alors se révéler très difficile d’obtenir la mise en place d’aménagements au sein des établissements scolaires. « Les polémiques actuelles autour de personnalités comme Caroline Goldman s’avèrent très néfastes, car elles confortent certains enseignants dans leur refus d’entendre que nos enfants ne font pas exprès d’avoir des problèmes de comportement », regrette Christine Gétin, président de l’association Hypersupers TDAH. Cette mère de trois enfants ne décolère pas contre les approches psychanalytiques qui « refusent d’envisager qu’il puisse exister des anomalies du fonctionnement cérébral, et qui attribuent toutes les difficultés à l’environnement au sens large. Et donc aux familles, et aux mères en particulier ».

Pour obtenir un accompagnement adéquat, les parents sont donc nombreux à se tourner vers le secteur libéral. Au moins ceux qui en ont les moyens : « Entre le pédopsychiatre, l’orthophoniste, l’ergothérapeute ou encore le psychomotricien, le reste à charge devient vite très élevé », soupire Nathalie Groh. Si certaines structures évoluent, personne aujourd’hui ne sait combien de CMP et de CMPP respectent les recommandations de bonne pratique de la Haute autorité de santé, qui mettent en avant les approches tirées de la psychologie scientifique et les TCC. « Malheureusement, ces recommandations ne sont pas opposables juridiquement », soupire une spécialiste du dossier. Les Agences régionales de santé (ARS) pourraient inciter les CMPP et les CMP à modifier leurs pratiques. « Le problème, c’est que ces agences ont un champ de responsabilité très large et des moyens limités. Une priorité chasse l’autre », poursuit cette experte.

Résistance au changement

Il faut dire aussi que la tâche s’avère complexe. Michel Keisler, directeur général de l’APAJH Gironde et gestionnaire des quatre CMPP de ce département, en sait quelque chose. Voilà six ans, lors de son arrivée à la tête de l’association, il s’est attelé à cette transformation : « Nous avons décidé en 2017 de créer des pôles neurodéveloppementaux avec des équipes spécialisées et des professionnels experts au sein des CMPP. Dès le départ, nous avons été confrontés à une forte opposition en interne. Les directeurs médicaux des quatre centres ont fait le choix de partir ainsi qu’une partie du personnel. Pour autant, nous avons déployé un plan de formation conséquent, étalé sur quatre ans », se souvient-il. Depuis, la part des enfants diagnostiqués avec un trouble du neurodéveloppement est passée de moins de 10 % à près de 50 %. « Les profils des enfants sont les mêmes. Simplement, auparavant, les diagnostics n’étaient pas faits selon les recommandations de la HAS », assure-t-il.

Autre frein aux évolutions : les difficultés à recruter des professionnels formés aux méthodes recommandées par la Haute autorité de santé. « Même si certaines universités évoluent, beaucoup d’enseignements en psychologie ou en psychomotricité restent très tournés vers la psychanalyse. Nous le voyons bien à travers les stagiaires qui postulent dans nos associations : souvent, elles connaissent mal les thérapies cognitivo-comportementales », constate Isabelle Rolland, présidente d’Autistes sans frontières. De son côté, le Dr Amandine Bussière, présidente de la fédération des CMPP, explique le manque d’évolution par « des moyens insuffisants » : « Les CMPP ont très peu bénéficié des budgets alloués aux plans autisme, alors que nous aurions des besoins en formation et en recrutement », souligne-t-elle, tout en insistant sur l’importance « d’une diversité des approches » au sein de ces structures.

La délégation interministérielle à l’autisme et aux troubles du neurodéveloppement avait toutefois conduit une expérimentation, en finançant des formations et l’achat d’outils de diagnostic pour les centres volontaires. Une petite centaine y avait participé, mais les résistances demeurent fortes. Ainsi, en 2021, une dizaine d’associations de psychologues a attaqué devant le Conseil d’Etat un arrêté ministériel qui prétendait encadrer leurs pratiques dans les toutes nouvelles « plateformes de conseil et d’orientation » ouvertes pour répondre aux besoins des familles concernées. Leur recours a été rejeté. Cet épisode le montre : sans une volonté politique forte, les changements continueront au rythme actuel. Bien trop lentement.

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Publié L’Express – Hebdo du 15 juin • Par Stéphanie Benz et Victor Garcia
« Dyslexie, TDAH, autisme… Les dérives de la psychanalyse chez les enfants »

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