Dyslexie et troubles DYS: Une nouvelle donne qui pourrait tout changer par Michel Habib
REVUE BRAIN SCIENCES – 27 Mai 2021
« Dyslexie et « troubles DYS« : Une nouvelle donne qui pourrait tout changer » par Michel Habib
10% environ des enfants d’âge scolaire souffrent de dyslexie ou d’autres troubles apparentés dénommés « troubles dys » (dyspraxie, dysphasie, dyscalculie, dysgraphie, trouble déficitaire d’attention, etc…). Il s’agit de troubles neurodéveloppementaux, c’est-à-dire qu’ils résultent de la mise en place atypique de certains circuits cérébraux durant le développement, probablement très précoce, de l’enfant. Si ces conditions sont mieux reconnues et mieux prises en compte dans les écoles françaises, il reste de nombreuses zones d’ombre quant à leurs mécanismes neurologiques.
Un article publié dans la revue Brain Sciences* apporte de nouvelles informations susceptibles de changer profondément les concepts et les pratiques. En résumé, la proposition que certains reconnaissent déjà comme révolutionnaire, est que tous les troubles dys ne sont que la manifestation d’une seule et même incapacité du cerveau à mettre au même rythme certaines de ses parties insuffisamment interconnectées. De là à préconiser l’enseignement de la musique et de la danse, il n’y a qu’un pas. Voici pourquoi.
Jusqu’ici la plupart des chercheurs et des rééducateurs considéraient la dyslexie comme un problème linguistique, un développement insuffisant des processus langagiers dans le cerveau de l’enfant.
Selon le Dr Michel Habib, l’auteur de cet article, cette vision serait réductrice et n’expliquerait pas tous les cas de dyslexie. Au contraire, il existerait au moins deux autres mécanismes : l’un lié à un défaut dans les systèmes attentionnels, et l’autre dans les systèmes de la coordination motrice. De sorte que les traitements usuellement proposés à ces enfants, basés sur la rééducation des systèmes du langage (notamment par les orthophonistes), laisseraient pour compte une grande partie des cas découlant d’autres mécanismes.
Une autre raison qui justifie le fait d’aller chercher ailleurs la cause de ces problèmes est leur tendance à s’associer entre eux. En effet, les troubles du langage sont souvent associés à des troubles du calcul et de la lecture, troubles de la coordination à des troubles de l’attention, et même à des symptômes d’allure autistique. Cette hypothèse (celle que défend le Dr Habib dans son article), serait capable à la fois d’expliquer ces associations et de rendre compte de la diversité de leurs manifestations, et pourrait déboucher sur une compréhension nouvelle de cette problématique de santé publique, et surtout ouvrir sur de nouvelles pistes de traitement impliquant, à côté des orthophonistes, de nombreuses autres professions : psychomotricien, ergothérapeute, orthoptiste, kinésithérapeute et même certains enseignants spécialisés qui répercuteraient jusqu’à l’intérieur de l’école les avancées de la recherche.
La position défendue dans cet article suppose que le point commun de nombreux troubles du neurodéveloppement : troubles dys, TDAH, et même certaines formes d’autisme, aurait trait à un défaut dans les connexions ou « faisceaux de substance blanche » qui unissent entre eux, à l’intérieur du cerveau, différentes zones ayant des fonctions différentes. Tout se passe exactement comme lors du jumelage de deux appareils électroniques : l’activité de l’un se synchronise rythmiquement avec celle de l’autre, permettant le passage d’information entre les deux dispositifs. Ainsi, apprendre à lire repose prioritairement sur la capacité du cerveau de l’enfant à établir des liens intenses et répétés entre les formes écrite (graphèmes) et orale (phonèmes) du langage. De même, lorsque l’enfant apprend à calculer, il met en relation des mots du langage oral et écrit (chiffres, nombres, opérations….) avec la représentation des quantités qui leur correspondent (par exemple le chiffre ‘5’, le mot ‘cinq’ et la quantité abstraite correspondante).
Dès lors, apprendre à calculer nécessite d’avoir établi un lien solide entre ces différentes représentations du nombre, ce qui repose sur l’intégrité de faisceaux de substance blanche qui relient entre elles les zones de cortex concernées.
Un raisonnement similaire est également proposé pour la dyspraxie, les difficultés d’écriture (dysgraphie) et même les troubles d’attention et l’autisme. En effet, grâce à des techniques appropriées d’imagerie cérébrale, on a pu visualiser un défaut de développement des faisceaux de connexion du cerveau comme point commun à ces différentes situations.
Tout comme lors du jumelage entre deux appareils, lorsque deux zones du cerveau « travaillent » ensemble, les rythmes spécifiques de leurs oscillations s’ajustent les uns aux autres, ce qui garantit l’efficacité de la transmission d’informations. Lorsque cette cohérence temporelle est imparfaite, comme ce serait le cas dans certains syndromes dys, le lien ne se fait pas et le trouble apparaît.
Alors, en quoi ces nouvelles constatations sont-elles utiles ? Eh bien, si on les suit à la lettre, on est tout logiquement enclin à proposer aux enfants dys les deux activités connues pour entraîner le cerveau à se mettre en rythme : l’activité musicale et la pratique de la danse. En effet, l’une comme l’autre va (cela a été également prouvé par les neuroscientifiques), agir sur le cerveau en construction en renforçant les connexions déficientes et en restaurant une meilleure cohérence temporelle entre l’activité des différentes régions cérébrales concernées.
Des études de recherche appliquée sont en cours dans divers laboratoires de recherche, en particulier en collaboration avec l’institution scolaire, pour tâcher de mettre en œuvre le plus largement possible ces observations, avec des premiers résultats très prometteurs d’ores et déjà publiés. Ce qui, à terme devrait déboucher sur la recommandation et la généralisation de nouvelles pratiques rééducatives et pédagogiques.
* « The Neurological Basis of Developmental Dyslexia and Related Disorders : A Reappraisal of the Temporal Hypothesis, Twenty Years on » by Michel habib – Brain Sci. 2021, 11(6), 708 ; https://doi.org/10.3390/brainsci11060708
https://www.mdpi.com/2076-3425/11/6/708
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Michel HABIB est neurologue au CHU de Marseille, où il a exercé dans le domaine des troubles cognitifs de l’adulte et de l’enfant et s’est progressivement spécialisé dans les troubles d’apprentissage. Il enseigne et a enseigné la neuropsychologie dans plusieurs universités françaises et outre-atlantique. Fondateur de la Revue de Neuropsychologie et, plus récemment, co-responsable de la revue Développements, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur les principaux domaines des liens entre cerveau et comportements, il a consacré ces dix dernières années à mettre en place un réseau de professionnels autour de la dyslexie et des autres troubles d’apprentissage. Il est président de Résodys et membre du comité scientifique de la FFDys.