Agnès Jaoui, mère d’enfants Dys: « Il est temps que notre regard sur le handicap change! » – Le JDD
TEMOIGNAGE • LE JDD 9 février 2020
Mère de deux enfants « multi-dys », la comédienne et réalisatrice Agnès Jaoui déplore le manque d’information sur ces troubles cognitifs entraînant des difficultés de langage ou de développement moteur.
Alors qu’Emmanuel Macron lance mardi son grand plan pour les droits des personnes handicapées, l’artiste Agnès Jaoui livre son regard sur le handicap. La comédienne réclame une meilleure reconnaissance des troubles « dys », qui touchent ses deux enfants. Voici son témoignage : « J’étais incroyablement ignorante sur les troubles ‘dys’ jusqu’à ce que je les rencontre avec mes enfants. ‘Ils ne font pas d’efforts’, me disais-je, y voyant une excuse de mauvais élève. Et c’est ce que j’ai entendu à la dernière réunion parents-profs au sujet de ma fille et de sa difficulté à lire en public : ‘Elle ne fait pas d’efforts.’
Leur demander d’écrire sans faute, c’est exiger d’un unijambiste qu’il courre le 100-mètres!
En réalité, le cerveau des ‘dys’ fonctionne différemment. Ils compensent avec plus d’efforts. Mon fils et ma fille, nés au Brésil, sont arrivés en France à 5 et 7 ans. Leurs difficultés sont apparues lors de l’apprentissage de la lecture. J’ai d’abord cru que cela venait du fait que le français n’est pas leur langue maternelle. Je ravalais des pensées horribles : ‘Tu fais exprès! Tu es bête ou quoi?’ Puis j’ai compris que de nombreux enfants souffrent des mêmes troubles : pour eux, B-A ne fera jamais BA. Leur demander d’écrire sans faute, c’est exiger d’un unijambiste qu’il courre le 100-mètres! Hélas, en France, l’orthographe, qui ne mesure en rien l’intelligence, reste discriminante dans un CV comme dans une lettre d’amour.
Il a fallu un à deux ans pour obtenir le diagnostic, en multipliant les démarches auprès de profs souvent aussi peu informés que moi, avec un orthophoniste. Mon fils et ma fille sont ‘multi-dys’. Malgré des progrès, cela reste un parcours du combattant. Il faut se répertorier à la Maison départementale des personnes handicapées. Certains ont voulu m’en dissuader, craignant de les stigmatiser. Enfant, on n’a pas envie d’assumer l’étiquette ‘handicapé’, surtout quand ce n’est pas visible. Le mépris reste immense.
En classe, ils ont subi des moqueries. Ils sont pourtant ingénieux – pour peu qu’on ne les brise pas
La reconnaissance donne droit à des aides, comme des auxiliaires de vie scolaire, indispensables mais mal payés et trop peu nombreux. Au lycée, mes enfants doivent en partager un. Il existe aussi des aides financières pour des ordinateurs ou des logiciels. J’ai la chance de ne pas en avoir besoin. Outre l’orthophoniste deux fois par semaine, ils sont aidés au quotidien pour leur travail. En classe, ils ont subi des moqueries. Ils sont pourtant ingénieux – pour peu qu’on ne les brise pas. Entendre tous les jours qu’on est nul, c’est tragique pour l’estime de soi. Certains profs font un travail extraordinaire, mais la méconnaissance reste abyssale. Bien qu’hyperprivilégiée, je ressors laminée de 90% des réunions parents-profs, avec mon môme laminé. À chaque fois, il faut remonter la confiance.
En Angleterre, en Belgique ou au Canada, les ‘dys’ sont perçus comme ‘haut potentiel’
À 17 et 19 ans, mes enfants sont presque fiers de leur différence. En Angleterre, en Belgique ou au Canada, les ‘dys’ sont perçus comme ‘haut potentiel’. Des génies auraient souffert de ces troubles, notamment Léonard de Vinci. Il est temps que le regard change en France! »
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LE JDD
« Agnès Jaoui, mère de deux enfants « multi-dys » : « Il est temps que notre regard sur le handicap change! »
Propos recueillis par Juliette Demey • 9 février 2020
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La notion de handicap regroupe des pathologies variées, souvent invisibles et pas toujours diagnostiquées. Malgré de multiples dispositifs et un lourd budget consenti par l’État, l’égalité réelle visée par la loi de 2005 n’est pas atteinte.
(…) Qui est concerné?
Le handicap touche environ 12 millions de Français, mais la moitié seulement s’en déclareraient porteurs. Une personne sur deux pourra y être confrontée dans sa vie, par exemple à la suite d’un accident, d’une maladie ou d’une blessure. Un chiffre en hausse, notamment à cause du vieillissement et de progrès dans le dépistage. Une grande majorité (80%) de ces handicaps sont dits « invisibles ».
Les personnes qui en souffrent rechignent à les révéler : crainte de l’isolement, de la stigmatisation, méconnaissance du cadre professionnel… D’autre part, l’accès au diagnostic, sésame pour réclamer une reconnaissance et obtenir une aide adaptée, reste inégal. Ce que déplore la Fédération française des dys (qui défend les personnes atteintes de troubles cognitifs spécifiques comme la dyspraxie, la dyslexie, la dyscalculie…) : 6 à 8% de Français en seraient atteints.
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Avant la conférence nationale du handicap qui aura lieu mardi et au cours de laquelle le chef de l’Etat doit annoncer son plan d’action, les associations de défense des personnes en situation de handicap réclament des avancées, pour enrayer les inégalités d’accès aux droits. 47 d’entre elles, dont la FFDys, réunis au sein du nouveau collectif Handicaps, présidé par Arnaud de Broca, interpellent Emmanuel Macron mais aussi tous les citoyens. « Le changement du quotidien des personnes handicapées se fera dans les territoires par une implication de tous », écrivent-elles notamment.
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